Jean-François Garneau
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5 Novembre 2018

Parti libéral du Québec : regarder ailleurs pour se renouveler

Jean-François Garneau

En réponse au texte de Claude Castonguay, « Lendemains d’élections », publié sur le site de La Presse.

Par Jean-François Garneau, professeur de management, ESA-TELUQ, et directeur-fondateur du Forum des idées pour le Québec.

Source : La Presse.

Le 27 octobre dernier, Claude Castonguay déplorait que Philippe Couillard ait manqué à sa promesse de renouveler la pensée du Parti libéral du Québec et proposait à ce parti de commencer enfin à se renouveler en tenant « un exercice de réflexion structuré et ouvertement participatif… comme celui tenu à Montmorency… par les libéraux de Jean Lesage ».

M. Castonguay a parfaitement raison d’insister sur la nécessité des libéraux du Québec de réfléchir plus que jamais pour renouveler leur parti. Il a cependant tort de penser que M. Couillard n’a rien fait dans ce domaine ou que c’est en réfléchissant, seulement ou même principalement aux thèmes que lui-même propose, qu’on sortira le Parti libéral des ornières qui sont les siennes.

Je voudrais par cette lettre contribuer à changer la perception que M. Castonguay semble avoir de l’héritage de M. Couillard, et contribuer ainsi à utiliser ce qu’il y a de mieux dans cet héritage pour continuer à renouveler le Parti libéral du Québec.

Non seulement M. Couillard a tenu parole en matière d’organisation d’événements de réflexion, mais il a fait organiser non pas un, mais cinq événements de ce genre entre l’automne 2013 et l’automne 2017. Je suis bien placé pour le savoir, puisque c’est moi qui les ai organisés, de concert avec mon ami français Jean-Marie Bézard et mon ami comédien Jean-Pierre Bélanger.

Forum des idées pour le Québec

Les événements en question s’appelaient Forum des idées pour le Québec et rassemblaient chaque année près d’un millier de personnes (de 300 à 400 personnes sur les lieux mêmes du Forum et le reste par diffusion en direct sur l’internet). Ils ont de plus mobilisé entre 20 et 50 experts d’ici et d’ailleurs par année. Ensemble, ces personnes ont fait don au Québec d’un corpus de réflexion politique que bien peu de partis politiques peuvent se vanter d’avoir eu.

Si on regarde, maintenant, les programmes de ces forums, on verra qu’ils témoignent d’une volonté de réorienter le parti vers ses racines d’avant 1977, c’est-à-dire :  (1) d’avant le virage néolibéral du congrès « Le Québec des libertés » et (2) d’avant le moment où le PLQ a commencé à se définir comme une coalition libérale-conservatrice autour de « l’idée fédérale » plutôt que comme une coalition progressiste autour de « l’idée libérale ».

Ils pointent aussi vers une façon plus internationaliste que nationaliste de renouveler notre capacité d’innovation politique. Cette perspective internationaliste, dont les lettres de noblesse remontent à Jean Jaurès, prend le contrepied de l’approche nationaliste que M. Legault a prise pour réunifier la droite. En cette fin de centenaire de la Première Guerre mondiale et d’attaques sans cesse renouvelées contre le multilatéralisme libéral, en politique internationale, il me semble plus important que jamais pour des esprits libéraux d’apprendre à se servir de cette idée centrale de leur héritage en faisant voir à leurs concitoyens à quoi elle aussi peut servir.

La chance que nous avons, dans notre malheur, est de partager notre situation avec bien des progressistes, des écologistes et de grands pans de la jeunesse et des minorités menacées dans leurs aspirations dans le monde entier.

Sachons donc rebâtir les alliances que les libéraux du Québec ont toujours entretenues avec les forces progressistes de partout sur la planète.

Redécouvrons l’attachement dont les patriotes bas- canadiens faisaient preuve envers les combats de leurs compatriotes du Haut-Canada et de la Nouvelle-Écosse. Redécouvrons les liens que les intellectuels québécois du XIXe siècle entretenaient avec les forces progressistes de Pologne, que Calixa Lavallée entretenait avec les forces armées qui libérèrent le sud des États-Unis de l’esclavage, que Raoul Dandurand entretenait à la Société des Nations quand elle déclara la guerre d’agression hors-la-loi, et que les Canadiens errants du deuxième tiers du XIXe siècle se sont trouvés forcés de développer, en raison de leur exil, avec les progressistes d’Australie.

Redécouvrons les racines multiculturelles (et non-nationalistes) du drapeau patriote (rouge pour la Grande-Bretagne, blanc pour la France et vert pour l’Irlande) et l’approche tout aussi multiculturelle qui fut celle de Champlain et des Premières Nations dans l’accueil qu’ils se sont faits, les uns aux autres, dans l’Amérique du XVIIe siècle.

Discutons de nos problèmes et de nos projets avec ceux des libéraux et des néo-démocrates des autres provinces qui nous ressemblent le plus, ainsi qu’avec ceux des démocrates américains, des travaillistes britanniques, des sociaux-démocrates français, allemands et suédois, des progressistes et des écologistes d’Amérique latine, des Caraïbes, du Moyen-Orient, de l’Afrique, de l’Asie et de l’Australie avec qui nous nous sentons l’envie de discuter.

Si nous savons par ailleurs focaliser notre attention sur les figures émergentes les plus porteuses d’avenir de ces mouvements internationaux, notre collaboration avec eux contribuera à attirer vers nous ceux des progressistes québécois qui hésitent encore à nous rejoindre.

Elle nous aidera aussi à mobiliser notre jeunesse à s’engager plus à fond en politique, et elle nous aidera enfin à redonner le goût de voter à tous ces Néo-Québécois, ces Anglo-Québécois et ces Premières Nations qui sont restées chez eux à nous bouder lors des dernières élections.

Détour par l’international

Si on traduit ce que je viens de dire en termes plus inspirants pour des nationalistes, on pourrait dire que ce n’est pas en prononçant de grands discours sur l’identité, la fierté, le rêve, l’ambition ou pire encore, la Constitution, qu’on arrivera à faire advenir les choses mêmes que les nationalistes désirent. C’est plutôt en s’astreignant à un travail qui nous dépasse et qui renforcera du même coup nos raisons d’être fiers que nous réaliserons ces objectifs.

Loin de miner le national, le détour par l’international le renforce sans que nous ayons à toujours en parler. Car pour trouver et affirmer son identité, il ne faut pas passer son temps à se regarder le nombril et à s’enfermer dans le culte du même. Il faut plutôt se tourner vers l’autre et toujours regarder ailleurs, vers l’horizon, toujours vers l’Ouest, tant qu’il y en aura, ainsi que Samuel de Champlain ne cessait de le dire.